mardi 27 juin 2023

90 km du Mont-Blanc

 Certains diront que certaines choses doivent être vécu dans une vie, d’autres sont moins téméraires et peut-être plus raisonnables ! En ce mois de Juin, je ne sais pas trop dans quelle catégorie je fais partie ! Le marathon du Mont Blanc est un évènement, très prisé des coureurs en montagne, attirant chaque année plusieurs milliers d’entre eux. Chamonix, petite bourgade située dans une vallée entre le massif du Mont Blanc et le massif des aiguilles rouges, considérée comme le temple du sport en montagne pouvant quadrupler sa population pour certains évènements sportifs (ski, escalade, trail, curling et mangeurs de raclette). Chamonix, c’est l’endroit où tu croises des gens avec des baudriers et des cordes, des vêtements de trails, des vtt, des sacs contenant des parachutes et qui mangent des raclettes et des tartiflettes alors qu’il fait 30 degrés dehors ! L’engouement est tel que la participation est soumis à un tirage au sort afin de limiter le nombre de participants. Après cinq années de tirages défavorables, que ce soit en groupe ou en solo, je reçois en 2021 un mail positif au tirage au sort pour l’édition 2022… deux jours plus tard, un autre mail pour m’informer d’une erreur et que le tirage est négatif en fin de compte ! Je passe du bonheur à la colère en quelques secondes devant tant d’amateurisme de la part d’une telle organisation. Suite au préjudice, ils me promettent un dossard prioritaire pour 2023. C’est à moindre mal puisque l’édition 2022 sera annulé à cause d’une météo défavorable, le karma ! Je suis d’autant plus surpris de recevoir le mail en octobre 2022 pour un dossard prioritaire sans tirage au sort… J’en profite et me voilà inscrit sur l’édition 2023 ! Je profite de l’aubaine et je loue direct un Airbnb proche du départ, les tirages au sort sont en cours du coup j’ai énormément de choix. En février, la famille me louant l’appartement m'annonce qu’ils annulent ma réservation sans raison. Je les insulte copieusement sur le site d'Airbnb et je recherche un plan de secours. La chance me sourit, je trouve une chambre dans un gite (un peu plus cher forcement) à un kilomètre du départ.
Après avoir raqué la taxe carbone et l’assurance coureur (l’hélicoptère de secours en Suisse c’est équivalent à un don d’organe et je préfère garder les miens) me voilà à Chamonix le jeudi afin de récupérer mon dossard avec comme consignes un créneau horaire (entre 15 h et 17h) et présentation du sac avec tout l’équipement obligatoire. Passage obligatoire dans le salon du trail et ces multiples exposants avides de cartes bleues…. Le gars m'accroche la puce de chronométrage sur mon sac et me dit qu’ils n’ont pas que ça à faire de contrôler tous les sacs…. L’orage gronde … ça fait une semaine que je regarde la météo et tous les jours de l’orage, j’ai peur d’une annulation de la course même si la météo du vendredi s’annonce clémente. Je trouve un restaurant avec à la carte des pâtes juste avant une tempête digne du pire scénario catastrophe (n'ayant pas pris de manteau, je rentre trempé au gite). Il tombera des cordes toute la nuit ajoutant beaucoup d’angoisse à une année ayant très mal démarrée…. Je passe une nuit sans sommeil …..
Le départ est à 4 h 00 en 2 vagues et je suis de la première vague. Il pleut des cordes. Je bois ma gazeuse sur le chemin et je rentre dans le sas. La pluie se calme et laissera place à un temps printanier pour le reste de la journée. Le briefing annonce que nous ne passerons pas à la tête de l'Arolette (km50) mais dessous par le chemin de replis pour cause de présence importante de neige (150 m de dénivelé positif en moins seulement ; je vais m’en remettre) La pluie s’arrête mais je garde mon manteau. Le départ est donné et forcement j’ai un besoin urgent à peine un kilomètre après. Je me retrouve dernier derrière le peloton du 1er SAS.
Après 1.5 km de bitume on attaque la montée infernale jusqu’au Brévent (2471 m d’altitude, pour info Chamonix est à 1035 m), forcement ça bouchonne dur dans les lacets très serrés. La montée n’est pas très raide mais longue. Je me fais rattraper par les « élites » du sas 2, je suis complètement à la ramasse à cause d’une grippe carabinée une semaine avant et une grosse fracture du mental de par mes échecs passés. Le brouillard est présent et la vue complétement bouchée n’arrange pas les choses. 

Je résiste et on arrive au refuge Bellachat. Normalement à cette saison la neige ne devrait pas être présente mais de part une année exceptionnelle, des névés sont bien présents. Nous évoluons dans de la neige dure et glissante toujours dans le brouillard laissant entrevoir par moment des pics rocheux enneigés. 

Arrivée au Brévent, je me dis que la descente devrait me ranimer…. Erreur... On descend sur des névés importants et la seule solution est de dévaler sur la partie la plus charnue de mon individu. 

 
Je glisse avec la peur au ventre et je fauche littéralement un gars dans mon périple, je freine avec mes mains mais la neige me brule les doigts. La douleur est intense, je n’ai jamais eu les mains aussi gelées au point que des crevasses s’ouvrent sur mes auriculaires. J’ai du mal à tenir mes bâtons alors que la descente est abrupte et boueuse. J’entends des cris annonçant des chutes de pierres et quel fut mon étonnement lorsqu’une pavasse de la taille de la tête d’un homme me passe à un mètre de la mienne. On finit par atteindre Planpraz, lieu du premier ravitaillement, au kilomètre 13. Je bois 2 verres de coca (drogue de réconfort) je range mon manteau et direction la Flégère (très connue pour être le dernier ravito de l'UTMB). Le chemin jusqu’à la Flégère (1865 m) oscille sous le massif des aiguilles rouges par les grands balcons sud. Un chemin en montagnes russes assez vertigineux avec une vue imprenable sur le Mont Blanc commence à se dévoiler derrière les nuages. Je suis à la ramasse et j’ai du mal à relancer. Je perds toujours des places et dès que je vois une cascade je bois dedans (moi et l’eau….) La vue est magnifique et je profite de faire quelques photos. 


Le chemin de la Flégère jusqu’à la tête au vent (2120 m)  est identique à l UTMB mais en sens inverse (c’est super de le voir de jour). Par contre c’est très technique et je souffre en continuant à m’alimenter dans les cascades aux eaux fraiches. La descente est très technique avec une vue sur le col des Posettes (le retour…) On perd 900 mètres de dénivelés jusqu’ au ravitaillement complet des 30 km. La déception sur la qualité des ravitaillements: des tucs, du sifflard, des bananes et des oranges… on se croirait dans une course de quartier ! (pour le prix qu’on paye le ratio n’est pas très positif) Je suis au bout de ma vie et sur le point d’abandonner…. Je flirte dangereusement avec les barrières horaires depuis le départ. Je prends le temps de faire le point et je rassemble toutes les idées positives qui me viennent. Je me raccroche à un truc personnel que je garderai pour moi et la machine finit par repartir….

Je sors du ravito à "le Buet"(1430 m) au kilomètre 30 pour attaquer une ascension tranquille d’abord en sous-bois et sur de la prairie. Je m’alimente en gel et miracle, l’énergie est au rendez-vous. Je commence à reprendre du poil de la bête et je double du monde dans la montée jusqu’au refuge de « la Villaz » (2020m) où coule une fontaine salvatrice de par la chaleur qui monte en ce milieu de journée. La descente est belle et souple où je peux mettre du rythme et rattraper pas mal de monde. 

C’est bon pour le moral. La Villaz (1316 m) est le point de départ pour rejoindre le barrage du lac d'Emosson. Une fontaine dans le village fait office de ravitaillement.

On est à peine au kilomètre 38 et la difficulté commence. La chaleur de la mi-journée et une montée abrupte dans des pierriers et des enchevêtrements de roches. La montée est très raide et interminable au point de mettre à rude épreuve les corps déjà fatigués. Je suis dans un moment de forme et je grimpe inexorablement en laissant les plus atteints faire des pauses pour récupérer. (Pour les initiés c’est un peu comme la montée depuis Ceillac vers le pas du curé). La vue du barrage du lac est impressionnante vu d’en bas mais quelle beauté face aux eaux bleues du lac une fois dessus. Le ravitaillement est un peu plus fourni pour la mi-course mais je suis toujours à une demi-heure de la barrière horaire. C’est un peu le tournant de la course car c’est là que se produit le plus grand nombre d’abandons. De plus la barrière horaire pour descendre est d’à peine une heure et la descente est à l’image de la montée… hyper technique, avec passage de chaines et de câbles, super abrupte pour arriver au Châtelard. Je reviens un peu dans le dur mais je gère avec mes nouveaux bâtons de la fête des pères (cool cette fête). 

Dans la descente on passe par un petit village ou des autochtones ont mis un jet d’eau ou je m’arrose complet de la tête au pied (pas une très bonne idée, mon pied droit n’a pas apprécié d’être trempé (sans assistance et sans sac d’allègement, je ne me suis pas changé tout du long). Arrivée au Châtelard(1148 m) et sa fontaine je ne m’attarde pas mais du coup à partir de là les barrières horaires sont raisonnables et ne deviennent plus une source d’inquiétudes. J'échange avec quelques coureurs pour me rendre compte que l’on va emprunter encore le chemin inverse de l'UTMB et monter au col des Posettes et continuer sur le col de Balme.
Je suis en forme et je double dans cette montée douce. Je me rassasie dans les ruisseaux comme depuis le début malgré le ravito à mi-chemin. La montée est longue mais grâce à ma forme relative je grimpe vite et je double du monde. J’ai quelque chose dans ma chaussure droite et plusieurs fois je m’arrête pour l’enlever mais je ne vois rien. C’est pénible mais tant pis je regarderai au ravito de "le tour 90 ". L’ascension énorme jusqu’au kilomètre 55 col de la Balme (2135 m) malgré la coupure de la tête de l' Arolette fera énormément de victimes. La descente est souple et je cours bien en doublant pas mal de monde. 

Le ravitaillement est plutôt bien fourni avec fromage et pastèque. Je profite de l’élargissement de la barrière horaire pour examiner mon pied droit qui me fait souffrir. Il s’avère qu’avec l’humidité, les plis de la peau me font souffrir. Je laisse à l’air libre le temps que sa passe et ça repart au poil.
Il reste une bosse et je sens que je vais finir. Le prochain ravitaillement est à 10 kilomètres en faux plats descendants mais avec quelques petits raidillons. Je m’accroche à un gars et on s’échange nos vies car 10 kilomètres c’est long quand c’est plat. Beaucoup d’encouragements sur cette portion car très près de Chamonix et de l’arrivée. Certains trailers en vadrouille jouent les pacers pour nous encourager. Au ravitaillement de "les bois"(1082 m) il fait encore jour et je suis confiant sur la suite du programme. Je prends un peu de temps et je glane des informations sur la dernière bosse et ses 1400m de D+. Un collègue avec qui j’échange depuis quelques kilomètres me vends un truc plutôt tranquille (le trailer est un menteur…). Je pars du ravito et j'échange avec une fille qui à l’air de m’écouter, mais au bout d’un quart d’heure, je regarde son dossard et je m’aperçois qu’elle est anglaise et qu’elle comprend rien de ce que je dis… la solitude…
La première étape de cette dernière bosse est la gare du Montenvers au départ de la célèbre "mer de glace". Le début n’est pas trop abrupt mais les choses se compliquent sur les 400 derniers mètres de dénivelés. Un enchevêtrement de rochers à escalader et à contourner dans la nuit tombante. Un ravitaillement est prévu à la gare du Montenvers (1904 m). Je tremble et il commence à faire froid donc je sors le blouson pour attaquer les dernières difficultés. La cible c’est le refuge du plan de l’Aiguille (5 km et 400 d+). Je grimpe vite et je profite de la forme du moment. Arrivée au signal (2200 m) et les grands balcons nord je suis assez en forme pour courir dès que c’est plat ou descendant. Bien sûr je continue à boire copieusement dans les torrents sur mon chemin. C’est interminable pour arriver au refuge du plan de l’Aiguille et dernier ravitaillement.
Je sors du ravito et il reste 8 kilomètres de descente. Je mets ma frontale à fond (frontale stoots 1000 lumens). Il fait comme en plein jour et j’enchaine la descente. Plus personne ne court à part moi. Je double énormément de monde car la descente est plutôt souple avec quelques difficultés que je gère avec mes bâtons. Mes chevilles sont à l’agonie ainsi que mes genoux mais tant pis je les écoutent pas et je dévale cette descente interminable en regardant l’altitude sur ma montre (Chamonix est à 1035 m ) C’est long et interminable. Les gens sont impressionnés par la puissance de ma frontale mais ça m’est égal que ça leur plaise ou non. J’arrive enfin sur le bitume mais hors de question de relâcher mon effort pour arpenter les rues piétonne. J’arrive après 21h42 de combat. 

Je suis heureux de finir cette course de cette façon au vu de ce début d’année chaotique. Il a fallu énormément de travail sur moi-même afin de finir et retrouver du mental pour apprécier ce genre de défi. Je vous le conseille car les décors sont à la hauteur de la difficulté (6000 de D+ sur 75 km + neige + cailloux). Pour citer un ami « les courses à Chamonix sont magiques »
Épilogue
Ils m’ont filé le cadeau Finisher de 2022 ….. J’ai une gourde isotherme finisher 2022... Sans blague (à vendre 2000 € c'est collector).

Stéphane

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