Je ne sais pas d’où est partie cette phrase, mais elle fut suivie de quatre ou cinq « Mmmhh… » d’approbation.
C’était un matin pluvieux.
Le jour n’était pas tout à fait là. On sentait bien que le soleil était parti sous d’autres latitudes et qu’il ne serait pas de retour aujourd’hui.
Bref, un terne matin de novembre.
Depuis quelques jours, l’ensemble du groupe avait les yeux rivés sur le site du marathon des Gorges de l’Ardèche, pour savoir si l’épreuve aurait lieu. Un épisode cévenol avait gonflé les eaux une semaine plus tôt, et les précipitations annoncées pour le jour de la course faisaient douter les organisateurs.
Nous nous étions donné rendez-vous à 06h, au port de l’épervière pour charger les bateaux.
Sur la remorque, deux C9 (canoë 9 places) et deux K2 (kayak 2 places). Une fois chargés pagaies, gilets, casques et les affaires perso, il ne nous reste plus beaucoup de place dans le camion du Canoé Club Valentinois. D’autant que le temps de charger, nous sommes déjà tous trempés. Ça promet. Le trajet se fait en silence. Il y a ceux qui finissent leur nuit, ceux qui doutent que la course ait lieu, ceux qui se demandent ce qu’ils font là. Pour ma part, hormis le manque de sommeil, (je n’aime vraiment, vraiment, pas me lever tôt !) je suis heureux.
C’est mon troisième marathon, mais mon premier en C9. Je suis tout excité.
Nous montons par la route des gorges. Il tombe des cordes, nous ne pouvons même pas voir la rivière qui est recouverte d’une épaisse nappe de brouillard.
Le départ du challenge, c'est-à-dire les bateaux de capacité supérieure à deux places, se fait juste en amont du Pont d’Arc, en dessous du rapide du Charlemagne. Nous arrivons sur la plage. Un énorme arbre est tombé, déraciné par la tempête du week-end précédent ou par la crue du début de semaine. L’eau a profité de cette plaie pour « attaquer » la plage et une faille commence à voir le jour, sapant inexorablement l’étendue sableuse.
La remorque est déchargée et nous attendons le reste de l’équipe, dont certains, partis la veille, ont dormi sur place.
Les concurrents commencent à arriver en nombre. Il y a ceux qui viennent pour faire un résultat, reconnaissables par leurs bateaux profilés, en carbone, leurs tenues sobres. Et ceux qui viennent pour s’amuser, souvent déguisés, avec des bateaux rustiques, comme le notre, C9 ou Kraft en polyester, lourds comme le diable, pagaies et tenues dépareillées. J’espère qu’ils savent ce qu’ils font.
Avec un niveau d’eau pareil, 170m3 au départ, qui ne fera qu’augmenter au fil des heures, il vaut mieux avoir un barreur expérimenté, sinon la fête peut vite tourner au drame.
Il y a deux C9 du CCV au départ: Un bateau « élite » en carbone, pagaies carbone, jupe intégrale, avec des pagayeurs aguerris, ayant de nombreuses heures d’entraînement à leur actif.
Et le bateau dit « sénateur », en polyester, car il était convenu que nous ne cherchions pas la performance, compte tenu que nous n’avions qu’un seul entraînement avec l’équipe au complet. Un bout de plastique en guise de jupe pour le pagayeur de tête, des écopes pour les autres si nous chargions trop d’eau.
10h. Le départ est donné.
Nous avons de la chance, les bateaux autour de nous restent un peu cloués. Cela nous permet de nous extirper rapidement de la pagaille du départ.
C’est incroyable à voir, une centaine de bateaux qui démarrent en même temps, passant sous le Pont d’Arc. L’image est magique. Nous ne sommes pas trop mal placés, on se dit que puisqu’on est là, autant essayer de rester vers l’avant, tant qu’on peut.
C’est toujours plus simple de passer les points chauds avec peu de monde. Dans un rapide, il n’y a, en général, qu’une seule trajectoire idéale. Si vous êtes coincés dans le gros du peloton, tout devient plus compliqué, vous perdez beaucoup de temps. Nous sommes dans la première moitié du groupe. Petit à petit, nous rattrapons des concurrents. Il y a peu de bateaux qui nous doublent. On se pique au jeu, on tire sur les pagaies, les bras commencent à faire mal. Normal, on est parti à froid, sans échauffement.
Bien sûr, je parle beaucoup. Je raconte des blagues, je harangue les autres concurrents pour faire des plaisanteries. Bref, comme d’habitude, je saoule tout le monde !
Il y a des bateaux extraordinaires: des C9 en lignes, des pirogues, des catamarans, de toutes formes et de toutes couleurs. On s’interpelle entre embarcations, on se chambre, on se provoque avec humour.
Notre barreur est incroyable. Il prend des trajectoires millimétrées, pas une seule faute sur tout le parcours. Nous doublons nombre de bateaux dans les courbes ou les rapides.
La rivière est large par endroit, et il est tentant, pour les bateaux inexpérimentés, de vouloir couper les virages. Erreur de débutant, ils se font prendre dans le contre courant et perdent beaucoup de temps et surtout d’énergie, pour en sortir.
Nous passons devant le ravito. La question se pose : on s’arrête ?
Et là, tenez-vous bien: je suis le premier à répondre NON. Ce n’est pas incroyable, ça ? Une première dans ma vie. Je passe devant un ravito sans m’arrêter !
Nous somme bien placés, ce serait dommage. Alors en continue. Les bras font mal maintenant, mais les falaises autour de nous se font moins hautes. Quand on connaît cette descente, on sait que c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. En effet, on ne va pas tarder à sortir des gorges, mais il nous reste cette dernière ligne droite. Un plagnol ou planiol (partie de la rivière, large, sans rapide, ni même de veine d'eau, ou le courant est faible et égal sur toute la largeur) de 5 km. C'est tout aux bras. Ça fait mal, mais il faut tenir. On a un bateau de l’Oise en ligne de mire. On s’est tiré la bourre toute la descente, il faut qu’on le rattrape. Mais ils sont plus jeunes que nous. Si on les a tenus, c’est grâce à nos trajectoires. En ligne droite, ils nous mangent.
A l’arrivée, il faut faire un demi tour sous un pont et remonter une centaine de mètres, à contre courant, le long des quais. Ça ne parait pas grand-chose (regardez la vidéo) mais le courant est puissant, et après 32 km de descente, les derniers 100 mètres font très, très, mal.
Les picards loupent leur demi-tour et se plantent au milieu du passage. On les percute de plein fouet. Avec le poids des bonhommes dans notre bateau, on a pas mal d’inertie. Les pauvres ont cru qu’ils se prenaient le Paris-Macon de 11h40 dans le buffet. Pour nous faire pardonner, on arrête de pagayer, le temps qu’ils repartent. Du coup ils passeront la ligne juste devant nous.
L’ambiance à l’arrivée est la même que sur les grosses courses à pied. Des centaines de gens qui crient, qui encouragent. Magique…
Nous avions un objectif de 2h à 2h15. Nous passerons la ligne en 1h40, à la 29ème place sur 95 bateaux. Seulement 12 minutes après notre équipe "élite" qui fait 7ème au scratch et 1er C9.
Nous avons eu la pluie toute la journée, mais tant pis. C’était quand même extraordinaire.
Le niveau d’eau était impressionnant. Je me suis vraiment régalé.
Merci et bravo à Olivier, pour m’avoir fait confiance, et encore suivi dans mes conneries. Dommage qu’il n’y ait eu personne d’autre du club.
Bravo à mes coéquipiers (dans l’ordre d’apparition) : Pierre (dit Coulapic), Denis, Olivier, Pascal, Christian, et notre barreur de l’espace: Patrick.
Merci à Michel et sa gentillesse, qui s’est coltiné la navette.
Merci de nous avoir acceptés dans ce bateau, qui était loin d’être une galère.
J’espère remettre ça l’année prochaine, si le CCV veut bien de moi.
Laurent
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Ps: Les résultats de Portes sont dans l'article résultats des courses.
Bravo Laurent. Encore une belle aventure humaine a ton actif. Previens moi avec 6 mois d'avance l'an prochain.
RépondreSupprimerBravo Laurent pour ton compte-rendu, Je confirme: tout est authentique!
RépondreSupprimer... et merci à toi et Olivier pour vos coups de pagaie, notre résultat est étonnant au vu de l'équipe et de son (unique) entrainement.
A la prochaine!
En regardant à nouveau les photos, je comprends mieux notre résultat.
SupprimerOn a une figure de proue tellement impressionnante que nos concurrents en ont perdu leurs moyens !
C'est une technique viking ancestrale.
Efficace, mais quand même...ça fout la trouille !!!
Une figure de proue à la diète par rapport aux autres vikings, parce que y a quand même du du lourd sur le drakkar !
SupprimerTu l'as dit.
SupprimerY'a qu'a demander aux Picards qui nous ont pris pleine poire.
Je pense que leur bateau vibre encore !!!
Laurent en citrouille, Laurent sur l'eau, Laurent dans les bois... mais c'est une vraie série :) Bravo pour votre belle perf !
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