mardi 18 novembre 2014

Le marathon des gorges de l'Ardèche

‭…’‬rais mieux fait d’rester couché‭…
Je ne sais pas d’où est partie cette phrase,‭ ‬mais elle fut‭ ‬suivie de‭ ‬quatre ou cinq‭ «‬ Mmmhh‭…‬ ‭» ‬d’approbation.

C’était un matin pluvieux.
Le jour n’était pas tout à fait là.‭ ‬On sentait bien que le soleil était parti sous d’autres latitudes et qu’il ne serait pas de retour aujourd’hui.‭
Bref,‭ ‬un‭ ‬terne‭ ‬matin de novembre.
Depuis quelques jours,‭ ‬l’ensemble du groupe avait les yeux rivés sur le site du marathon des‭ ‬Gorges de l’Ardèche,‭ ‬pour savoir si l’épreuve aurait lieu. Un épisode cévenol avait gonflé les eaux‭ ‬une semaine‭ ‬plus tôt,‭ ‬et les précipitations annoncées‭ ‬pour le jour de la course faisaient douter les organisateurs.
‭Nous nous étions donné rendez-vous à‭ ‬06h,‭ ‬au port de l’épervière pour charger les bateaux.
Sur la remorque,‭ ‬deux C9‭ (‬canoë‭ ‬9‭ ‬places‭)‬ et deux K2‭ (‬kayak‭ ‬2‭ ‬places‭)‬. Une fois‭ ‬chargés pagaies,‭ ‬gilets,‭ ‬casques et les affaires perso,‭ ‬il ne nous reste plus beaucoup de place‭ ‬dans le camion du Canoé Club Valentinois.‭ D’autant que le temps de charger,‭ ‬nous sommes déjà tous trempés.‭ ‬Ça promet. Le trajet se fait en silence.‭ ‬Il y a ceux qui finissent leur nuit,‭ ‬ceux qui doutent que la course ait lieu,‭ ‬ceux qui se demandent ce qu’ils font là. Pour ma part,‭ ‬hormis le manque de sommeil,‭ (‬je n’aime vraiment,‭ ‬vraiment,‭ ‬pas me lever tôt ‭!) ‬je suis heureux.
C’est mon troisième marathon,‭ ‬mais mon premier en C9.‭ ‬Je suis tout excité.

Nous montons par la route des gorges.‭ ‬Il tombe des cordes,‭ ‬nous ne pouvons même pas voir la rivière qui est recouverte d’une épaisse nappe de brouillard.
Le départ du challenge,‭ ‬c'est-à-dire les bateaux‭ ‬de capacité‭ ‬supérieure à deux places,‭ ‬se fait juste en amont du Pont d’Arc,‭ ‬en dessous du rapide du Charlemagne.‭ Nous arrivons sur la plage.‭ ‬Un énorme arbre est tombé,‭ ‬déraciné par la tempête du week-end précédent ou par la crue du début de semaine.‭ ‬L’eau a profité de cette plaie pour‭ «‬ attaquer ‭» ‬la plage et une faille commence‭ ‬à voir le jour,‭ ‬sapant inexorablement l’étendue sableuse.
La remorque est déchargée et nous attendons le reste de l’équipe,‭ ‬dont certains,‭ ‬partis la veille,‭ ‬ont dormi sur place.
Les concurrents commencent‭ ‬à arriver en nombre.‭ ‬ Il y a ceux qui viennent pour faire un résultat,‭ ‬reconnaissables par‭ ‬leurs bateaux profilés,‭ ‬en carbone,‭ ‬leurs tenues sobres. Et ceux qui viennent pour s’amuser,‭ ‬souvent déguisés,‭ ‬avec des bateaux rustiques,‭ ‬comme le notre,‭ ‬C9‭ ‬ou Kraft en polyester,‭ ‬lourds comme le diable,‭ ‬pagaies et tenues dépareillées. J’espère qu’ils savent ce qu’ils font.‭
Avec un niveau d’eau pareil,‭ ‬170m3‭ ‬au départ,‭ ‬qui ne fera‭ ‬qu’augmenter au fil des heures,‭ ‬il vaut mieux avoir un barreur expérimenté,‭ ‬sinon la fête peut vite tourner au drame.
Il y a deux C9‭ ‬du CCV‭ ‬au départ:‭ Un bateau‭ «‬ élite ‭» ‬en carbone,‭ ‬pagaies carbone,‭ ‬jupe intégrale,‭ ‬avec des pagayeurs aguerris,‭ ‬ayant de nombreuses heures d’entraînement à leur actif.
Et le bateau dit‭ «‬ sénateur ‭»‬,‭ ‬en polyester,‭ ‬car il était convenu que nous ne cherchions pas la performance,‭ ‬compte tenu que nous n’avions qu’un seul entraînement avec l’équipe au complet.‭ ‬Un bout de plastique en guise de jupe pour le pagayeur de tête,‭ ‬des écopes pour les autres si nous chargions trop d’eau.

10h.‭ ‬Le départ est donné.‭
Nous avons de la chance,‭ ‬les bateaux autour de nous‭ ‬restent un peu cloués.‭ ‬Cela nous permet de nous extirper rapidement de la pagaille du départ.
C’est incroyable à voir,‭ ‬une centaine de bateaux qui démarrent en même temps,‭ ‬passant sous le Pont d’Arc.‭ ‬L’image est magique. Nous ne sommes pas trop mal placés,‭ ‬on se dit que puisqu’on est là,‭ ‬autant essayer de rester vers l’avant,‭ ‬tant qu’on peut.
C’est toujours plus simple de passer les‭ ‬points chauds avec peu de monde.‭ ‬Dans un rapide,‭ ‬il‭ ‬n‭’‬y a,‭ ‬en général,‭ ‬qu’une seule trajectoire idéale.‭ ‬Si vous‭ ‬êtes coincés dans le gros du peloton,‭ ‬tout devient plus compliqué,‭ ‬vous perdez beaucoup de temps. Nous sommes dans la première‭ ‬moitié du‭ ‬groupe.‭ ‬Petit à petit,‭ ‬nous rattrapons des concurrents.‭ ‬Il y a peu de bateaux qui nous doublent. On se pique au jeu,‭ ‬on tire sur les pagaies,‭ ‬les bras commencent à faire mal.‭ ‬Normal,‭ ‬on est parti à froid,‭ ‬sans échauffement.
Bien sûr,‭ ‬je parle beaucoup.‭ ‬Je raconte des blagues,‭ ‬je‭ ‬harangue les autres concurrents pour faire des plaisanteries.‭ ‬Bref,‭ ‬comme d’habitude,‭ ‬je saoule tout le monde ‭!
Il y a‭ ‬des bateaux extraordinaires:‭ ‬des C9‭ ‬en lignes,‭ ‬des pirogues,‭ ‬des‭ ‬catamarans,‭ ‬de toutes formes et de toutes couleurs.‭ ‬On s’interpelle entre embarcations,‭ ‬on se chambre,‭ ‬on se provoque avec humour.
Notre barreur est incroyable.‭ ‬Il prend des trajectoires millimétrées,‭ ‬pas une seule faute sur tout le parcours.‭ ‬Nous doublons nombre de bateaux dans les courbes ou les rapides.
La rivière est large par endroit,‭ ‬et il est tentant,‭ ‬pour les bateaux inexpérimentés,‭ ‬de vouloir couper les virages.‭ ‬Erreur de débutant,‭ ‬ils se font prendre dans le contre courant et perdent beaucoup de temps et surtout d‭’‬énergie,‭ ‬pour en sortir.
Nous passons devant le ravito.‭ ‬La question se pose :‭ ‬on s’arrête ‭?
Et là,‭ ‬tenez-vous bien:‭ ‬je suis le premier à répondre NON.‭ ‬Ce n’est pas incroyable,‭ ‬ça ‭? ‬Une première dans ma vie.‭ ‬Je passe devant un ravito sans m’arrêter ‭!
Nous somme bien placés,‭ ‬ce serait dommage.‭ ‬Alors en continue. Les bras font mal maintenant,‭ ‬mais les falaises autour de nous se font moins hautes.‭ ‬Quand on connaît cette descente,‭ ‬on sait que c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. En effet,‭ ‬on ne va pas tarder à sortir des gorges,‭ ‬mais il nous reste cette dernière ligne droite.‭ ‬Un plagnol ou planiol  (partie de la rivière, large, sans rapide, ni même de veine d'eau, ou le courant est faible et égal sur toute la largeur) de‭ ‬5‭ ‬km.‭ C'est ‬tout aux bras. Ça fait mal,‭ ‬mais il faut tenir.‭ ‬On a un bateau de l’Oise en ligne de mire. On s’est tiré la bourre toute la descente,‭ ‬il faut qu’on le rattrape.‭ ‬Mais ils sont plus jeunes que nous.‭ ‬Si on les a tenus,‭ ‬c’est grâce à nos trajectoires.‭ ‬En ligne droite,‭ ‬ils nous mangent.‭
A l’arrivée,‭ ‬il faut faire un demi tour sous un pont et remonter une centaine de mètres,‭ ‬à contre courant,‭ ‬le long des quais. Ça ne parait pas grand-chose (regardez la vidéo) ‬mais le courant est puissant,‭ ‬et après‭ ‬32‭ ‬km de descente,‭ ‬les derniers‭ ‬100‭ ‬mètres font très,‭ ‬très,‭ ‬mal.
Les picards loupent leur demi-tour et se plantent au milieu du passage.‭ ‬On les‭ ‬percute de plein fouet. Avec le poids des bonhommes dans notre bateau,‭ ‬on a pas mal d’inertie.‭ ‬Les pauvres ont cru qu’ils se prenaient le Paris-Macon de‭ ‬11h40‭ ‬dans le buffet. Pour nous faire pardonner,‭ ‬on‭ ‬arrête de pagayer,‭ ‬le temps qu’ils repartent.‭ ‬Du coup ils passeront la ligne juste devant nous.
L’ambiance à l’arrivée est la même que sur les grosses courses à pied.‭ ‬Des centaines de gens qui crient,‭ ‬qui encouragent.‭ ‬Magique‭…
Nous avions un objectif de‭ ‬2h à‭ ‬2h15.‭ ‬Nous passerons la ligne en‭ ‬1h40,‭ ‬à la‭ ‬29ème place sur‭ ‬95‭ ‬bateaux.‭ ‬Seulement‭ ‬12‭ ‬minutes après‭ ‬notre‭ ‬équipe‭ ‬"élite"‬ qui fait‭ ‬7ème au scratch et‭ ‬1er C9.
Nous avons eu la pluie toute la journée,‭ ‬mais tant pis.‭ ‬C’était quand même extraordinaire.
Le niveau d’eau était impressionnant.‭ ‬Je me suis vraiment régalé.

Merci et bravo à Olivier,‭ ‬pour m’avoir fait confiance,‭ ‬et encore suivi dans mes conneries.‭ ‬Dommage qu’il n’y ait eu personne d’autre du club.
Bravo à‭ ‬mes coéquipiers‭ (‬dans l’ordre d’apparition‭)‬ :‭ ‬Pierre‭ (‬dit Coulapic‭)‬,‭ ‬Denis,‭ ‬Olivier,‭ ‬Pascal,‭ ‬Christian,‭ ‬et‭  ‬notre barreur de l’espace:‭ ‬Patrick.
Merci à Michel et sa gentillesse,‭ ‬qui s’est coltiné la navette.
Merci‭ ‬de‭ ‬nous avoir acceptés dans ce bateau,‭ ‬qui était loin d’être une galère.

J’espère remettre ça l’année prochaine,‭ ‬si le CCV veut bien de moi.

Laurent


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Ps: Les résultats de Portes sont dans l'article résultats des courses.

6 commentaires:

  1. Bravo Laurent. Encore une belle aventure humaine a ton actif. Previens moi avec 6 mois d'avance l'an prochain.

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  2. Bravo Laurent pour ton compte-rendu, Je confirme: tout est authentique!
    ... et merci à toi et Olivier pour vos coups de pagaie, notre résultat est étonnant au vu de l'équipe et de son (unique) entrainement.
    A la prochaine!

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    1. En regardant à nouveau les photos, je comprends mieux notre résultat.
      On a une figure de proue tellement impressionnante que nos concurrents en ont perdu leurs moyens !
      C'est une technique viking ancestrale.
      Efficace, mais quand même...ça fout la trouille !!!

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    2. Une figure de proue à la diète par rapport aux autres vikings, parce que y a quand même du du lourd sur le drakkar !

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    3. Tu l'as dit.
      Y'a qu'a demander aux Picards qui nous ont pris pleine poire.
      Je pense que leur bateau vibre encore !!!

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  3. Laurent en citrouille, Laurent sur l'eau, Laurent dans les bois... mais c'est une vraie série :) Bravo pour votre belle perf !

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